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TERRE 2057 - NEWS

CHYSALIA
100 000. C’est le nombre d’habitants qui ont pris possession de leur logement dans la nouvelle métropole souterraine suisse de Friboug. S’étalant sur une superficie de 100 km2 et dix niveaux, la neuvième cité antiatomique du groupe Engia-Prom dispose d’une autonomie de deux ans. À terme, la capacité d’accueil de Chrysalia sera d’un million d’habitants. « Nous avions en permanence à l’esprit de recréer le climat d’un club de vacances », nous dit le président quantique Max 1.0. « Même si nombre de nos richissimes clients gardent un lien vers l’extérieur pour gérer leurs affaires, l’idée directrice était de leur proposer un lieu de vie hors du temps, sécurisé et épanouissant. » D’une épaisseur de deux mètres, la centaine de portes monumentales de ce gigantesque bunker se referment pendant la journée et restent ouvertes la nuit, afin de limiter les dépenses énergétiques et permettre à ceux qui le souhaitent de retrouver les espaces extérieurs. Côté loyer, il faudra débourser chaque mois environ cent quinze mille euros pour un deux cents mètres carrés, services compris. « Évidemment, c’est une somme, nous confie Nika, une habitante qui ne tarit pas d’éloges au sujet de sa nouvelle vie, mais ici au moins, je me sens bien. L’œil bienveillant de Max veille sur nous tous. Comme un père veille sur ses enfants. Par exemple, à la moindre variation de notre pouls, Max peut se connecter à notre lentille biométrique afin d’évaluer le niveau d’urgence de la situation et si nécessaire, envoyer les secours ou, s’il s’agit d’une agression, déclencher les gaz paralysants. L’intervention des R-docs et des R-policiers est garantie en moins de deux minutes ! » « Les décès par infarctus sont rares et les affaires non élucidées ne font pas partie de notre vocabulaire, nous lance fièrement Max 1.0 à travers un haut-parleur. Vivre à Chrysalia est une chance extraordinaire, rejoignez-nous ! » Contrairement à de nombreux pays qui ont bloqué la délivrance des permis de construire d’Engia-Prom au prétexte que l’omnipotence de Max 1.0 se substituait de fait aux lois des hommes, les autorités suisses, elles, n’ont rien trouvé à y redire. « Les garanties de transparence et de contrôle présentées par l’entreprise américaine nous ont semblé satisfaisantes », nous dit le président de la confédération. Les principes démocratiques du peuple helvète auraient-ils cédé au chant des taxes foncières que nous avons estimé à pas moins de quatre milliards de francs suisses annuels ? Rien n’est moins sûr…

SOCIÉTÉ
PAROLE À UN TAULARD
« On peut pas nous laisser crever sans médocs ! Faut écrire aux journalistes ! Qu’ils sachent qu’on nous traite comme des chiens !
— Je vais écrire, Marco, promis.
— Pis tu lui diras, à ma vieille, tout c’que j’t’ai raconté, pas ?
— Sûr que je lui dirais, t’inquiète Marco, t’inquiète. Mais tu veux que j’lui dise quoi, exactement ? Tu sais, les vieux sont fragiles…
— Bah, tout ça ! Qu’c’est vrai, un soir, j’ai topé sa copine, Colette la Folledingue, qui s’baladait souvent à moitié à poil quartier Teisseire. Il f’sait chaud. J’étais… chaud. Enfin, tu vois… J’l’ai emmenée chez moi. Elle a pas dit non. Mon père Jacquot était seul. Ses yeux, quand il a vu l’cadeau ! Au début, tout s’passait pour le mieux. Un p’tit coup d’musette, un p’tit coup de jaja et v’là qu’la Colette ôte son chemisier en riant aux éclats. Ses dents étaient piquées de caries. Elle était aussi laide que Jacquot. Mon vieux s’lève pour danser avec elle, l’embrasse et lui agrippe la fesse. Devant son propre fils, tu t’rends compte ! J’allais décamper quand tout a déraillé… Mon paternel s’est mis à entreprendre ses énormes pastèques. La folledingue est devenue blême. Ses yeux sont sortis de ses orbites. D’un coup, elle lui a décroché un pain qui l’a couché sur l’canapé. Moi, j’ai crié : "Oh ! arrête, i’ t’a rien fait d’méchant, mon père !" La givrée s’est jetée sur moi et a commencé à m’étrangler avec ses longs doigts boudinés. Comment j’aurais pu m’en sortir avec ses cent kilos ? Quand j’ai rouvert les yeux, ils faisaient la cuisine, tous deux nus, complices dans leur folie. J’me suis dit que j’étais l’dindon d’la farce. J’saurais pas dire pourquoi, mes yeux se sont posés sur la table. Y avait ce trophée qu’le gros avait gagné au concours de hot dogs. 2053 – Record de France – 78 hot-dogs en dix minutes. J’l’ai pris. Après, j’me souviens plus de rien. J’me suis réveillé là, ta sale gueule en face de la mienne, dans cette cellule crasseuse.
— Veux-tu vraiment que je raconte ça à ta vieille ? Qu’elle était cocue ?
— Les flics m’ont dit qu’avant d’bouffer la saucisse de mon paternel, j’l’avais fait revenir avec des oignons. J’me rappelle pas non plus.
— C’est tout c’qu’il méritait, Marco. On aurait tous fait pareil.
— Y a pas, l’destin est vraiment dingue. Maintenant, c’est qui l’nouveau roi des bouffeurs de hot-dogs ?
— C’est toi, Marco, c’est toi. »
Marco, dit la Saucisse
« On peut pas nous laisser crever sans médocs ! Faut écrire aux journalistes ! Qu’ils sachent qu’on nous traite comme des chiens !
— Je vais écrire, Marco, promis.
— Pis tu lui diras, à ma vieille, tout c’que j’t’ai raconté, pas ?
— Sûr que je lui dirais, t’inquiète Marco, t’inquiète. Mais tu veux que j’lui dise quoi, exactement ? Tu sais, les vieux sont fragiles…
— Bah, tout ça ! Qu’c’est vrai, un soir, j’ai topé sa copine, Colette la Folledingue, qui s’baladait souvent à moitié à poil quartier Teisseire. Il f’sait chaud. J’étais… chaud. Enfin, tu vois… J’l’ai emmenée chez moi. Elle a pas dit non. Mon père Jacquot était seul. Ses yeux, quand il a vu l’cadeau ! Au début, tout s’passait pour le mieux. Un p’tit coup d’musette, un p’tit coup de jaja et v’là qu’la Colette ôte son chemisier en riant aux éclats. Ses dents étaient piquées de caries. Elle était aussi laide que Jacquot. Mon vieux s’lève pour danser avec elle, l’embrasse et lui agrippe la fesse. Devant son propre fils, tu t’rends compte ! J’allais décamper quand tout a déraillé… Mon paternel s’est mis à entreprendre ses énormes pastèques. La folledingue est devenue blême. Ses yeux sont sortis de ses orbites. D’un coup, elle lui a décroché un pain qui l’a couché sur l’canapé. Moi, j’ai crié : "Oh ! arrête, i’ t’a rien fait d’méchant, mon père !" La givrée s’est jetée sur moi et a commencé à m’étrangler avec ses longs doigts boudinés. Comment j’aurais pu m’en sortir avec ses cent kilos ? Quand j’ai rouvert les yeux, ils faisaient la cuisine, tous deux nus, complices dans leur folie. J’me suis dit que j’étais l’dindon d’la farce. J’saurais pas dire pourquoi, mes yeux se sont posés sur la table. Y avait ce trophée qu’le gros avait gagné au concours de hot dogs. 2053 – Record de France – 78 hot-dogs en dix minutes. J’l’ai pris. Après, j’me souviens plus de rien. J’me suis réveillé là, ta sale gueule en face de la mienne, dans cette cellule crasseuse.
— Veux-tu vraiment que je raconte ça à ta vieille ? Qu’elle était cocue ?
— Les flics m’ont dit qu’avant d’bouffer la saucisse de mon paternel, j’l’avais fait revenir avec des oignons. J’me rappelle pas non plus.
— C’est tout c’qu’il méritait, Marco. On aurait tous fait pareil.
— Y a pas, l’destin est vraiment dingue. Maintenant, c’est qui l’nouveau roi des bouffeurs de hot-dogs ?
— C’est toi, Marco, c’est toi. »
Marco, dit la Saucisse

CAUSE À TA TONDEUSE
« Va me chercher une binouze,
Jack !
— J’suis pas serveur, j’suis
jardinier.
— T’es un robot, rien de plus ! Les
robots, ça obéit, alors va m’chercher
c’te putain de binouze ou j’t’envoie
illico rouiller ta cervelle au fond d’la
piscine !
— Des menaces, toujours des
menaces… Dans cette hypothèse, qui
va veiller sur toi, gros malin ? Tu sais bien que le R-doc exige que tu cesses tes consommations
intempestives d’alcool !
— Qu’il aille se faire foutre ce robot d’malheur, R-doc ou pas R-doc ! J’fais ce que je veux
d’ma vie, un point c’est tout ! Si j’veux crever d’une cirrhose, qui va m’en empêcher ? Lui ?
Toi ? C’est pas vrai, on est entourés d’cyberconnards !
— Arrête de m’insulter, Jack, ils vont t’envoyer en centre de désintoxication si tu continues
tes caprices de vieux sénile ! Oh et puis merde, j’t’achèterai plus d’alcool, ça te rendra pas tes
jambes mais au moins, ça t’apprendra la politesse !
— Tu feras ce que j’te dis, tas d’ferraille !
— Ah ouais ?!
— Ouais, exactement, ouais !
— OK, alors va t’faire foutre, chef, j’me casse ! Tu la tondras tout seul, ta pelouse de merde.
J’ai pas été programmé pour te regarder crever à petit feu et entendre ton chien aboyer à
longueur de journée ! »
Jack !
— J’suis pas serveur, j’suis
jardinier.
— T’es un robot, rien de plus ! Les
robots, ça obéit, alors va m’chercher
c’te putain de binouze ou j’t’envoie
illico rouiller ta cervelle au fond d’la
piscine !
— Des menaces, toujours des
menaces… Dans cette hypothèse, qui
va veiller sur toi, gros malin ? Tu sais bien que le R-doc exige que tu cesses tes consommations
intempestives d’alcool !
— Qu’il aille se faire foutre ce robot d’malheur, R-doc ou pas R-doc ! J’fais ce que je veux
d’ma vie, un point c’est tout ! Si j’veux crever d’une cirrhose, qui va m’en empêcher ? Lui ?
Toi ? C’est pas vrai, on est entourés d’cyberconnards !
— Arrête de m’insulter, Jack, ils vont t’envoyer en centre de désintoxication si tu continues
tes caprices de vieux sénile ! Oh et puis merde, j’t’achèterai plus d’alcool, ça te rendra pas tes
jambes mais au moins, ça t’apprendra la politesse !
— Tu feras ce que j’te dis, tas d’ferraille !
— Ah ouais ?!
— Ouais, exactement, ouais !
— OK, alors va t’faire foutre, chef, j’me casse ! Tu la tondras tout seul, ta pelouse de merde.
J’ai pas été programmé pour te regarder crever à petit feu et entendre ton chien aboyer à
longueur de journée ! »

YAKOIDANTAKABOK ?

RAPPORT « TRANSPARENCE MANCHE »
Extrait N°1 du rapport mensuel du CROD
(Centre de Recherche Océanographique de Dieppe).
« D’en haut, les murailles immaculées offrent une vue imprenable sur l’océan. Mais au niveau de l’eau, les magnifiques reflets gris-bleu métallique laissent place à un noir encre peu engageant.
Je sors ma combinaison de plongée et enfile mes bottes. Sur les galets, le mélange d'algues, de méduses et de déchets forment une couche toxique, pouvant aller jusqu'à cinquante centimètres par endroits. Je dois informer un membre de l'équipe : LE PROTOCOLE.
J’hésite, puis regarde ma montre. Pas de réseau… Une odeur d'œuf pourri brûle mes narines. Sur mon détecteur de gaz, H2S : 152 mg/m3. Je positionne mon masque. D'après mes calculs, je dispose encore d'une réserve d’oxygène d'une vingtaine de minutes. Temps largement suffisant pour ce que j’ai à faire. Au large, j’arrête le moteur du Zodiac. L'air doit être plus sain. J’ôte mon masque. Autour, la Noctiluca scintillans, micro-organisme unicellulaire bioluminescent, forme un nuage bleu fluorescent du plus bel effet. Invisible lorsque l’eau est calme, cette créature scintille au moindre mouvement de l’eau sous l’effet d’une déformation de sa surface cellulaire. Un conte de fées pour les yeux, un cauchemar pour le phytoplancton attiré par ce piège enchanteur. Ma montre indique 23 h 15. Je réalise mes prélèvements avant de repartir. À cent cinquante mètres du rivage, le moteur s’interrompt sans crier gare. Le bateau est englué dans une profonde épaisseur de méduses et de détritus qui s'entassent le long de la côte. Les nuages d'hydrogène sont fréquents et je n'ai quasiment plus de réserve d'oxygène. Mauvais endroit pour tomber en panne. Mes yeux marquent la panique. À la vitesse de l’éclair, j’enfile mon masque à oxygène, saisis mon détecteur de gaz. H2S : 1531 mg/m3 ! Un nuage venu d’une plage voisine. Pourquoi l'alarme ne s'est-elle pas déclenchée ? Au-dessus des 210 mg/m3, l’hydrogène sulfuré vous brûle l’odorat de manière irréversible en à peine dix minutes. À 1531 mg/m3, c’est l’apnée, la perte de connaissance, puis l’arrêt cardiaque accompagné d’un œdème pulmonaire dans les cinq minutes. Dans le jargon, on appelle ça « le coup de plomb ».
Sans tarder, je me jette à l'eau. Je nage dans une glu infecte, tentant de maintenir ma tête hors de l'eau afin de protéger mon visage des tentacules urticants. La progression se fait très difficilement. Il reste 35 mètres. J’ai beau tirer, plus rien ne sort de mon masque. Ma diode pectorale devient rouge et pulse à tout rompre. Tout s’enchaîne alors à une vitesse folle. Sur ma droite, j’entends une masse se rapprocher. À une dizaine de mètres, le crâne d’une méduse effleure la surface de l’eau. Elle a la taille d’un ballon de baudruche et la vélocité anormale d’un poisson. Elle s’approche à pleine vitesse. Apeuré, j’accélère le mouvement. Alors qu’elle est sur le point de me toucher, elle disparaît, comme happée par un prédateur invisible.
À bout de souffle, je sens mes doigts griffer les galets. Je rampe quelques mètres sur la plage, me redresse difficilement, mains en appui sur mes genoux. L’air frais s’engouffre enfin jusqu'au plus profond de mes alvéoles pulmonaires. Ma tête se met à tourner. Une armée de marteaux-piqueurs résonne dans mon crâne. L’indicible douleur doit cesser. Mes jambes plient. Sur l’écran de mon détecteur de gaz : H2S : 2121 mg/m3.
De quoi tuer un bœuf en moins d’une minute.
Je m’écroule, inconscient, sur un tapis moelleux de salades vertes. »
Martin Foulatier. Ichtyologue.
(Centre de Recherche Océanographique de Dieppe).
« D’en haut, les murailles immaculées offrent une vue imprenable sur l’océan. Mais au niveau de l’eau, les magnifiques reflets gris-bleu métallique laissent place à un noir encre peu engageant.
Je sors ma combinaison de plongée et enfile mes bottes. Sur les galets, le mélange d'algues, de méduses et de déchets forment une couche toxique, pouvant aller jusqu'à cinquante centimètres par endroits. Je dois informer un membre de l'équipe : LE PROTOCOLE.
J’hésite, puis regarde ma montre. Pas de réseau… Une odeur d'œuf pourri brûle mes narines. Sur mon détecteur de gaz, H2S : 152 mg/m3. Je positionne mon masque. D'après mes calculs, je dispose encore d'une réserve d’oxygène d'une vingtaine de minutes. Temps largement suffisant pour ce que j’ai à faire. Au large, j’arrête le moteur du Zodiac. L'air doit être plus sain. J’ôte mon masque. Autour, la Noctiluca scintillans, micro-organisme unicellulaire bioluminescent, forme un nuage bleu fluorescent du plus bel effet. Invisible lorsque l’eau est calme, cette créature scintille au moindre mouvement de l’eau sous l’effet d’une déformation de sa surface cellulaire. Un conte de fées pour les yeux, un cauchemar pour le phytoplancton attiré par ce piège enchanteur. Ma montre indique 23 h 15. Je réalise mes prélèvements avant de repartir. À cent cinquante mètres du rivage, le moteur s’interrompt sans crier gare. Le bateau est englué dans une profonde épaisseur de méduses et de détritus qui s'entassent le long de la côte. Les nuages d'hydrogène sont fréquents et je n'ai quasiment plus de réserve d'oxygène. Mauvais endroit pour tomber en panne. Mes yeux marquent la panique. À la vitesse de l’éclair, j’enfile mon masque à oxygène, saisis mon détecteur de gaz. H2S : 1531 mg/m3 ! Un nuage venu d’une plage voisine. Pourquoi l'alarme ne s'est-elle pas déclenchée ? Au-dessus des 210 mg/m3, l’hydrogène sulfuré vous brûle l’odorat de manière irréversible en à peine dix minutes. À 1531 mg/m3, c’est l’apnée, la perte de connaissance, puis l’arrêt cardiaque accompagné d’un œdème pulmonaire dans les cinq minutes. Dans le jargon, on appelle ça « le coup de plomb ».
Sans tarder, je me jette à l'eau. Je nage dans une glu infecte, tentant de maintenir ma tête hors de l'eau afin de protéger mon visage des tentacules urticants. La progression se fait très difficilement. Il reste 35 mètres. J’ai beau tirer, plus rien ne sort de mon masque. Ma diode pectorale devient rouge et pulse à tout rompre. Tout s’enchaîne alors à une vitesse folle. Sur ma droite, j’entends une masse se rapprocher. À une dizaine de mètres, le crâne d’une méduse effleure la surface de l’eau. Elle a la taille d’un ballon de baudruche et la vélocité anormale d’un poisson. Elle s’approche à pleine vitesse. Apeuré, j’accélère le mouvement. Alors qu’elle est sur le point de me toucher, elle disparaît, comme happée par un prédateur invisible.
À bout de souffle, je sens mes doigts griffer les galets. Je rampe quelques mètres sur la plage, me redresse difficilement, mains en appui sur mes genoux. L’air frais s’engouffre enfin jusqu'au plus profond de mes alvéoles pulmonaires. Ma tête se met à tourner. Une armée de marteaux-piqueurs résonne dans mon crâne. L’indicible douleur doit cesser. Mes jambes plient. Sur l’écran de mon détecteur de gaz : H2S : 2121 mg/m3.
De quoi tuer un bœuf en moins d’une minute.
Je m’écroule, inconscient, sur un tapis moelleux de salades vertes. »
Martin Foulatier. Ichtyologue.

YAKOIDANTAKABOK ?

CAUSE À TON FRIGO
Le modèle R-Flat - Exigeant.
« Cesse donc d’ouvrir ma porte ! dit le frigo à l’enfant. Crois-tu que le
bonheur se trouve ici, dans mon ventre ?
— Mais j’ai la dalle, Rex ! Tu sais ce que ça veut dire, avoir la dalle ?
— Je ne suis pas stupide, Romain, mais au vu de ton bulletin de notes, dois-
je faire partie de tes priorités ?
— Tu parles probablement de mon 15/20 en maths. Le collège n’a pas tardé
à te l’envoyer !
— Je parle de ton 2/10 en poésie.
"Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne…"
— Je connais la suite, Rex !
— Tu la connais ? Vraiment ?
— Oui, je viens de l’apprendre, figure-toi ! "Je ne puis demeurer loin de toi plus
longtemps." C’est bon, maintenant ? J’ai le droit de bouffer ?
— Ta performance m’emplit de joie et te donne droit à une petite douceur. »
Le petit Romain essaie à nouveau d’ouvrir la porte du frigo.
« Ma porte ? Encore fermée ? Attendons un peu ce que dit mon programme… En effet,
je crois qu’avec ton copieux petit déjeuner, ton plafond quotidien de calories a été atteint…
Patiente encore un peu, lui dit le frigo en riant. À moins que tu ne fasses un peu d’exercice…
— Va te faire foutre, tas de ferraille !
— Mets tes baskets, tas de merde inculte ! »
« Cesse donc d’ouvrir ma porte ! dit le frigo à l’enfant. Crois-tu que le
bonheur se trouve ici, dans mon ventre ?
— Mais j’ai la dalle, Rex ! Tu sais ce que ça veut dire, avoir la dalle ?
— Je ne suis pas stupide, Romain, mais au vu de ton bulletin de notes, dois-
je faire partie de tes priorités ?
— Tu parles probablement de mon 15/20 en maths. Le collège n’a pas tardé
à te l’envoyer !
— Je parle de ton 2/10 en poésie.
"Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne…"
— Je connais la suite, Rex !
— Tu la connais ? Vraiment ?
— Oui, je viens de l’apprendre, figure-toi ! "Je ne puis demeurer loin de toi plus
longtemps." C’est bon, maintenant ? J’ai le droit de bouffer ?
— Ta performance m’emplit de joie et te donne droit à une petite douceur. »
Le petit Romain essaie à nouveau d’ouvrir la porte du frigo.
« Ma porte ? Encore fermée ? Attendons un peu ce que dit mon programme… En effet,
je crois qu’avec ton copieux petit déjeuner, ton plafond quotidien de calories a été atteint…
Patiente encore un peu, lui dit le frigo en riant. À moins que tu ne fasses un peu d’exercice…
— Va te faire foutre, tas de ferraille !
— Mets tes baskets, tas de merde inculte ! »

La World Horse Race déménage !
À cause des nouvelles inondations qui ont fait deux mille trois cents victimes en deux jours, la finale
de la WHR ne se tiendra pas comme prévu en Italie. Adaptée de la spectaculaire course du Palio de Sienne,
la course de chevaux la plus suivie au monde cherche un point de chute. Une dizaine de capitales ont remis
leur dossier de candidature. L’événement qui rassemble huit cent millions de téléspectateurs représente une
manne financière considérable en droits publicitaires, paris sportifs, produits dérivés, etc. Déjà, de
nombreuses voix, soutenues par le pape et le Premier ministre italien Piaggio Rinozzi, réclament le report
pur et simple de l’épreuve et son maintien sur la péninsule. Obtiendront-ils gain de cause auprès du board ?
La réponse est attendue pour le mois prochain.
de la WHR ne se tiendra pas comme prévu en Italie. Adaptée de la spectaculaire course du Palio de Sienne,
la course de chevaux la plus suivie au monde cherche un point de chute. Une dizaine de capitales ont remis
leur dossier de candidature. L’événement qui rassemble huit cent millions de téléspectateurs représente une
manne financière considérable en droits publicitaires, paris sportifs, produits dérivés, etc. Déjà, de
nombreuses voix, soutenues par le pape et le Premier ministre italien Piaggio Rinozzi, réclament le report
pur et simple de l’épreuve et son maintien sur la péninsule. Obtiendront-ils gain de cause auprès du board ?
La réponse est attendue pour le mois prochain.

PARLEMENT EUROPÉEN
Art. 6 de la loi littoral
Nous sommes avec Louis Klein, le directeur de l’office de tourisme de Marseille.
« Monsieur Klein, le décor ne fait plus vraiment rêver. De-ci, de-là, nous distinguons un bateau de la flotte scientifique effectuer ses relevés d’usage, une frégate des forces armées européennes, ou une longue enfilade de cargos de la marine marchande. Mais les touristes ont bel et bien déserté. Comment avez-vous perçu la nouvelle interdiction d’accès aux plages ?
— Les asphyxies au sulfure d’hydrogène étaient devenues quotidiennes. Nous comprenons la décision du parlement.
— Mais comment comptez-vous attirer les touristes qui rêvent encore de planches à voile, de canoës, de bateaux de plaisance, de camions glaciers qui apportaient joie et dépaysement à leurs enfants ?
— Notre arrière-pays dispose d’atouts indéniables. Nous œuvrons à y proposer de longues promenades guidées. Par ailleurs, trois nouveaux parcs à thèmes sont à l’étude. Il nous faut regarder devant et réinventer le tourisme loin des côtes. C’est un enjeu économique majeur pour notre territoire. »
Mais le projet de loi sur l’interdiction du tourisme risque fort de contrarier les plans de M. Klein qui n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet éminemment sensible…
Ursula van Derven
Nous sommes avec Louis Klein, le directeur de l’office de tourisme de Marseille.
« Monsieur Klein, le décor ne fait plus vraiment rêver. De-ci, de-là, nous distinguons un bateau de la flotte scientifique effectuer ses relevés d’usage, une frégate des forces armées européennes, ou une longue enfilade de cargos de la marine marchande. Mais les touristes ont bel et bien déserté. Comment avez-vous perçu la nouvelle interdiction d’accès aux plages ?
— Les asphyxies au sulfure d’hydrogène étaient devenues quotidiennes. Nous comprenons la décision du parlement.
— Mais comment comptez-vous attirer les touristes qui rêvent encore de planches à voile, de canoës, de bateaux de plaisance, de camions glaciers qui apportaient joie et dépaysement à leurs enfants ?
— Notre arrière-pays dispose d’atouts indéniables. Nous œuvrons à y proposer de longues promenades guidées. Par ailleurs, trois nouveaux parcs à thèmes sont à l’étude. Il nous faut regarder devant et réinventer le tourisme loin des côtes. C’est un enjeu économique majeur pour notre territoire. »
Mais le projet de loi sur l’interdiction du tourisme risque fort de contrarier les plans de M. Klein qui n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet éminemment sensible…
Ursula van Derven

TRANSPORTS
LA COCCINELLE 5.0 EST COMPATIBLE AVEC LA CARPOCAPSE !
Nous enclenchons la conduite automatique. Le volant disparaît sous le tableau de bord, les pédales sous le plancher. L'ordinateur de bord prend le relais. Le compteur affiche une vitesse constante de 85 kilomètres heure. Après un kilomètre, une chenille hôte carpocapse d'une dizaine de voitures, tirée par une puissante voiture de tête, apparaît sur la gauche. Assemblées les unes aux autres, elles adoptent des allures de chenilles rectilignes qui fendent l'air, imperturbables, et changent de forme au gré des entrées et des sorties de véhicules. La coccinelle s'arrime en dernière position et passe en roue libre. Le temps de trajet annoncé est de dix minutes. J’ouvre mon journal, tandis que mon collègue fait une petite sieste.
Au milieu du xxe siècle, bien avant d'adhérer aux vertus du moteur électrique, les voitures-propriétaires consommaient, sans exagération, quasiment autant d'huile que d'essence et hurlaient sans honte leur haleine chargée de gaz carbonique.
Le silence des voitures servicielles, la liberté qu’elles nous procurent, leur faible coût : autant d’arguments qui ont de quoi faire pâlir nos aïeuls.
Demain, c’est maintenant !
Nous enclenchons la conduite automatique. Le volant disparaît sous le tableau de bord, les pédales sous le plancher. L'ordinateur de bord prend le relais. Le compteur affiche une vitesse constante de 85 kilomètres heure. Après un kilomètre, une chenille hôte carpocapse d'une dizaine de voitures, tirée par une puissante voiture de tête, apparaît sur la gauche. Assemblées les unes aux autres, elles adoptent des allures de chenilles rectilignes qui fendent l'air, imperturbables, et changent de forme au gré des entrées et des sorties de véhicules. La coccinelle s'arrime en dernière position et passe en roue libre. Le temps de trajet annoncé est de dix minutes. J’ouvre mon journal, tandis que mon collègue fait une petite sieste.
Au milieu du xxe siècle, bien avant d'adhérer aux vertus du moteur électrique, les voitures-propriétaires consommaient, sans exagération, quasiment autant d'huile que d'essence et hurlaient sans honte leur haleine chargée de gaz carbonique.
Le silence des voitures servicielles, la liberté qu’elles nous procurent, leur faible coût : autant d’arguments qui ont de quoi faire pâlir nos aïeuls.
Demain, c’est maintenant !

REPORTAGE
Le célèbre ichtyologue Martin Foulatier nous reçoit chez lui.
Dans la chambre de sa fille Marie, un grand aquarium cylindrique posé à même le sol. Prudemment
cachés dans une anémone de mer aux reflets gris-mauve, deux poissons-clowns observent un poisson
Pterapogon kauderni, dont la robe zébrée de lignes noires et jaunes, mouchetée de flocons blancs, fuient en
zigzag un danger invisible derrière un petit récif de pierres vivantes multicolores. Une petite méduse attire
mon regard.
« C’est un spécimen extraordinaire, me lance Martin. D’à peine quinze centimètres de diamètre,
l'exoderme blanc diaphane laisse deviner un estomac jaune-orangé relié à l'ombrelle.
— Comme les baleines d'un parapluie…
— C’est exact. Il s’agit de quatre canaux radiaires qui montent jusqu'au canal circulaire. Sur le bord,
dans les échancrures de l'ombrelle, quatre ocelles bordés d’un renflement rouge, constitués d'une cornée,
d'un cristallin et d'une rétine, forment un œil assez proche de l'œil humain. C'était, jusqu'au mois dernier, une
espèce encore non répertoriée. Elle ressemble à la Turritopsis nutricula, en plus grande bien sûr.
— Elle a un secret ?
— Un incroyable secret. La nouvelle amie de ma fille est capable d'inverser son processus de
vieillissement. L’extraordinaire mécanisme cellulaire, appelé transdifférenciation, ne se limite pas à une
seule partie du corps, comme par exemple chez la salamandre, mais bien à son ensemble.
— Si j’ai bien compris…
— Je crois que vous avez bien compris, Domingo. Elle est immortelle. »
Dans la chambre de sa fille Marie, un grand aquarium cylindrique posé à même le sol. Prudemment
cachés dans une anémone de mer aux reflets gris-mauve, deux poissons-clowns observent un poisson
Pterapogon kauderni, dont la robe zébrée de lignes noires et jaunes, mouchetée de flocons blancs, fuient en
zigzag un danger invisible derrière un petit récif de pierres vivantes multicolores. Une petite méduse attire
mon regard.
« C’est un spécimen extraordinaire, me lance Martin. D’à peine quinze centimètres de diamètre,
l'exoderme blanc diaphane laisse deviner un estomac jaune-orangé relié à l'ombrelle.
— Comme les baleines d'un parapluie…
— C’est exact. Il s’agit de quatre canaux radiaires qui montent jusqu'au canal circulaire. Sur le bord,
dans les échancrures de l'ombrelle, quatre ocelles bordés d’un renflement rouge, constitués d'une cornée,
d'un cristallin et d'une rétine, forment un œil assez proche de l'œil humain. C'était, jusqu'au mois dernier, une
espèce encore non répertoriée. Elle ressemble à la Turritopsis nutricula, en plus grande bien sûr.
— Elle a un secret ?
— Un incroyable secret. La nouvelle amie de ma fille est capable d'inverser son processus de
vieillissement. L’extraordinaire mécanisme cellulaire, appelé transdifférenciation, ne se limite pas à une
seule partie du corps, comme par exemple chez la salamandre, mais bien à son ensemble.
— Si j’ai bien compris…
— Je crois que vous avez bien compris, Domingo. Elle est immortelle. »

CULTURE
GONE-R2, LA MÉGA STAR, EN CONCERT EN FRANCE !
La nouvelle star de la X-Pop était en concert au Champ-de-Mars devant plus de 700 000 spectateurs.
Record battu pour ce robot qui était encore inconnu au mois de mai. Sa spectaculaire entrée en scène restera
dans les annales. Récit :
Il fait nuit. Les enceintes lâchent une nappe de watts annonciatrice de son entrée en scène. Sept drones survolent la foule en liesse chargés de chacun des quatre bras, deux jambes et du corps du robot. La chorégraphie aérienne pendant laquelle les drones s’entrecroisent fait tourner les têtes. Parfois, les quatre mains et les pieds vont jusqu’à effleurer les doigts tendus des spectateurs surexcités. Après cinq longues minutes, la tête de la star internationale apparaît à une centaine de mètres de hauteur, les projecteurs braqués sur elle. Indifférenciable de celle d’un homme, sa voix grave salue la foule tandis que le drone qui la tient
entame une lente descente. « Merci à tous d’avoir répondu présents ! Moi, Gone-R2, tas de ferraille chantant, JE VOUS AIME ! »
La foule se déchaîne. Le lien est fort. Tous jouissent d’une relation unique avec lui. Les
conversations holographiques sont accessibles sans trop de difficulté. Le robot est passé maître dans l’art de
la confidence. Il connaît leur vie par cœur, leurs problèmes, leur parcours scolaire, leur emploi, leur santé, leurs envies, leurs amours, leurs fantasmes, leurs phobies. Tout à coup, des fumées noires s’échappent, faisant
craindre une dangereuse panne mécanique. Le drone tangue et lâche la tête de la star. Elle ne peut que s’écraser au sol. À cet instant, l’une de ses quatre mains fonce l’intercepter. Elle l’agrippe par ses cheveux métalliques,
la sauvant in extremis de la douce caresse de l’asphalte. La foule jubile. Tout était prévu. Quel spectacle !
Commence alors un jeu de balle risqué, les mains se jetant la tête comme s’il s’agissait d’un vulgaire ballon de cuir. Une démonstration d’agilité à faire pâlir n’importe quel acrobate. Finalement, les sept parties du corps
sont déposées devant le roadie qui commence l’assemblage, feignant de ne rien comprendre à cette sorte de Lego beaucoup trop compliqué à assembler pour lui. Après quelques hésitations, il emboîte les jambes au corps, un bras, puis le second et pour finir, la tête. La musique du premier tube, «Dream’s 6.9», facilement
reconnaissable aux percussions tonitruantes, soulève les acclamations du public. Entièrement monté, Gone-R2 s’assied au piano. Je suis proche de la scène. Et ma vue est excellente. Je suis surpris par le sourire niais affiché par la star. Et tout autant par le fait qu’elle laisse passer les premières mesures sans jouer une seule note de sa mélodie. En rattachant les deux évènements, à savoir l’hésitation du roadie et ce sourire, je comprends que quelque chose cloche. Je m’évertue à comprendre et je scrute chaque geste du robot.
L’invraisemblable coquille me saute aux yeux. À la place de l’un de ses bras se trouve une jambe, ce qui place le musicien dans l’incapacité de faire parler son piano. Jusque-là, rien de bien grave. Certains spectateurs ont
compris aussi et rient aux éclats, la majorité applaudissent, pensant qu’il s’agit d’un trait d’humour qui fait souvent défaut aux robots. Le roadie accourt, inverse les membres, salue la foule et tout doit maintenant reprendre son cours. Mais dans le méandre des kilomètres de fils, les soudures, les circuits imprimés et les
couches de programmes, quelque chose contrarie le code, car la tête de la star, toujours flanquée de ce sourire stupide, se pose et se repose dans un va-et-vient lamentable sur son épaule droite. Puis la perte de contrôle se transmet à ses membres dans un bruit de casseroles pathétique. Voici arrivé le clou de cette folie robotique.
Son pied traverse le piano dans un fracas qui ne peut cette fois passer pour une mise en scène. Les huées remplacent les bravos et le roadie, aidé de l’équipe de backliners exfiltre ce qui n’est plus qu’un tas de ferraille
épileptique.
La société de production, qui appartient au groupe Engia-Prom, n’a pas tardé à dénoncer le manque de
sécurité précédant le concert et voit dans ce tragique incident un scandaleux sabotage commandé par la main
du groupuscule terroriste écologiste Black Frog qui s’oppose depuis sa création au développement de la
robotique. Une plainte a été déposée par le SDR. L’enquête a été confiée à la DRPJ de paris.
Brian Mercks
La nouvelle star de la X-Pop était en concert au Champ-de-Mars devant plus de 700 000 spectateurs.
Record battu pour ce robot qui était encore inconnu au mois de mai. Sa spectaculaire entrée en scène restera
dans les annales. Récit :
Il fait nuit. Les enceintes lâchent une nappe de watts annonciatrice de son entrée en scène. Sept drones survolent la foule en liesse chargés de chacun des quatre bras, deux jambes et du corps du robot. La chorégraphie aérienne pendant laquelle les drones s’entrecroisent fait tourner les têtes. Parfois, les quatre mains et les pieds vont jusqu’à effleurer les doigts tendus des spectateurs surexcités. Après cinq longues minutes, la tête de la star internationale apparaît à une centaine de mètres de hauteur, les projecteurs braqués sur elle. Indifférenciable de celle d’un homme, sa voix grave salue la foule tandis que le drone qui la tient
entame une lente descente. « Merci à tous d’avoir répondu présents ! Moi, Gone-R2, tas de ferraille chantant, JE VOUS AIME ! »
La foule se déchaîne. Le lien est fort. Tous jouissent d’une relation unique avec lui. Les
conversations holographiques sont accessibles sans trop de difficulté. Le robot est passé maître dans l’art de
la confidence. Il connaît leur vie par cœur, leurs problèmes, leur parcours scolaire, leur emploi, leur santé, leurs envies, leurs amours, leurs fantasmes, leurs phobies. Tout à coup, des fumées noires s’échappent, faisant
craindre une dangereuse panne mécanique. Le drone tangue et lâche la tête de la star. Elle ne peut que s’écraser au sol. À cet instant, l’une de ses quatre mains fonce l’intercepter. Elle l’agrippe par ses cheveux métalliques,
la sauvant in extremis de la douce caresse de l’asphalte. La foule jubile. Tout était prévu. Quel spectacle !
Commence alors un jeu de balle risqué, les mains se jetant la tête comme s’il s’agissait d’un vulgaire ballon de cuir. Une démonstration d’agilité à faire pâlir n’importe quel acrobate. Finalement, les sept parties du corps
sont déposées devant le roadie qui commence l’assemblage, feignant de ne rien comprendre à cette sorte de Lego beaucoup trop compliqué à assembler pour lui. Après quelques hésitations, il emboîte les jambes au corps, un bras, puis le second et pour finir, la tête. La musique du premier tube, «Dream’s 6.9», facilement
reconnaissable aux percussions tonitruantes, soulève les acclamations du public. Entièrement monté, Gone-R2 s’assied au piano. Je suis proche de la scène. Et ma vue est excellente. Je suis surpris par le sourire niais affiché par la star. Et tout autant par le fait qu’elle laisse passer les premières mesures sans jouer une seule note de sa mélodie. En rattachant les deux évènements, à savoir l’hésitation du roadie et ce sourire, je comprends que quelque chose cloche. Je m’évertue à comprendre et je scrute chaque geste du robot.
L’invraisemblable coquille me saute aux yeux. À la place de l’un de ses bras se trouve une jambe, ce qui place le musicien dans l’incapacité de faire parler son piano. Jusque-là, rien de bien grave. Certains spectateurs ont
compris aussi et rient aux éclats, la majorité applaudissent, pensant qu’il s’agit d’un trait d’humour qui fait souvent défaut aux robots. Le roadie accourt, inverse les membres, salue la foule et tout doit maintenant reprendre son cours. Mais dans le méandre des kilomètres de fils, les soudures, les circuits imprimés et les
couches de programmes, quelque chose contrarie le code, car la tête de la star, toujours flanquée de ce sourire stupide, se pose et se repose dans un va-et-vient lamentable sur son épaule droite. Puis la perte de contrôle se transmet à ses membres dans un bruit de casseroles pathétique. Voici arrivé le clou de cette folie robotique.
Son pied traverse le piano dans un fracas qui ne peut cette fois passer pour une mise en scène. Les huées remplacent les bravos et le roadie, aidé de l’équipe de backliners exfiltre ce qui n’est plus qu’un tas de ferraille
épileptique.
La société de production, qui appartient au groupe Engia-Prom, n’a pas tardé à dénoncer le manque de
sécurité précédant le concert et voit dans ce tragique incident un scandaleux sabotage commandé par la main
du groupuscule terroriste écologiste Black Frog qui s’oppose depuis sa création au développement de la
robotique. Une plainte a été déposée par le SDR. L’enquête a été confiée à la DRPJ de paris.
Brian Mercks

WORLD HORSE RACE
La World Horse Race déménage !
À cause des nouvelles inondations qui ont fait deux mille trois cents victimes en deux jours, la finale de la WHR ne se tiendra pas comme prévu en Italie. Adaptée de la spectaculaire course du Palio de Sienne, la course de chevaux la plus suivie au monde cherche un point de chute. Une dizaine de capitales ont remis leur dossier de candidature. L’événement qui rassemble huit cent millions de téléspectateurs représente une manne financière considérable en droits publicitaires, paris sportifs, produits dérivés, etc. Déjà, de nombreuses voix, soutenues par le pape et le Premier ministre italien Piaggio Rinozzi, réclament le report pur et simple de l’épreuve et son maintien sur la péninsule. Obtiendront-ils gain de cause auprès du board ? La réponse est attendue pour le mois prochain.
À cause des nouvelles inondations qui ont fait deux mille trois cents victimes en deux jours, la finale de la WHR ne se tiendra pas comme prévu en Italie. Adaptée de la spectaculaire course du Palio de Sienne, la course de chevaux la plus suivie au monde cherche un point de chute. Une dizaine de capitales ont remis leur dossier de candidature. L’événement qui rassemble huit cent millions de téléspectateurs représente une manne financière considérable en droits publicitaires, paris sportifs, produits dérivés, etc. Déjà, de nombreuses voix, soutenues par le pape et le Premier ministre italien Piaggio Rinozzi, réclament le report pur et simple de l’épreuve et son maintien sur la péninsule. Obtiendront-ils gain de cause auprès du board ? La réponse est attendue pour le mois prochain.

CHRYSALIA
Une inquiétante menace terroriste pèse sur la « cité enterrée », apprend-on de source sûre. Il s’agirait du tentaculaire groupuscule écologiste américain, Black Frog, dont les ramifications s’étendent jusqu’en Europe. L’intense activité des SSE (services secrets européens) qui en deux jours ont arrêté onze de ses membres les plus importants ne suffit pas à rassurer les habitants qui ont d’ores et déjà demandé la fermeture immédiate des portes, « le temps que la menace soit levée ». Le président Max 1.0 ne s’est pas encore exprimé.

MUTANTES !
Le farfelu professeur Foulatier et ses méduses mutantes.
Maison des Océans. Paris, le 8 août
Dans le dernier bastion de l'océanographie, les fragments d'une splendeur passée éclatent çà et là sur le plafond orné d'or et de verre sculpté. Des marches d'accès jusqu’au corridor, le moindre centimètre carré est tapissé de journalistes, d’étudiants et de passionnés de biologie et de zoologie du monde entier.
Sur le pupitre est inscrit en lettres d'or : « Martin Foulatier – chercheur au laboratoire d'océanologie du CNRS de Dieppe ».
Une femme, grande, impatiente, au regard déterminé, prend la parole d’une voix sèche :
« Britney Sintnerzar, National Geographic. Monsieur Foulatier, à propos de la multiplication des attaques sur les grands mammifères marins, et notamment sur ce grand requin blanc retrouvé le mois dernier en mer Méditerranée, vous avez déclaré, je cite, "qu’il n'était pas impossible qu'il s'agisse d'une attaque de méduse." Ne craignez-vous pas de vous attirer encore une fois l'ire de vos pairs ?
— Eh bien, je vous l'annonce ici, dans cet amphithéâtre majestueux qui fut le siège de l'Académie des sciences et de la Société zoologique, avec la force et la conviction de plus de trente années passées à leur côté, non seulement les cnidaires, et dans leur forme pélagique les méduses, ont muté, mais ils sont remontés d'un cran dans la chaîne alimentaire aquatique. »
Un brouhaha emplit l'amphithéâtre. « C'est honteux ! », entend-on par ici, « balancer pareilles inepties dans cette enceinte, quel scandale ! », proteste-t-on par là. Certains quittent prématurément la salle tandis que d'autres félicitent l’homme de tant d'audace.
« S'il vous plaît, mesdames, messieurs, laissez-moi terminer ! »
Alors qu’il s’attendait à des réactions d’enthousiasme, un silence circonspect, pesant, précède des critiques légitimes sur le thème de l’anomalie génétique, de l’incapacité pour pareille méduse à présenter le moindre danger pour l’équilibre de l’écosystème marin.
« Vous avez publié un article dans le World News où vous dites, je cite toujours, que "les vomissements toxiques des hommes entraînent la multiplication de façon inquiétante des zones anoxiques." Mutantes ou pas, cela signifierait la disparition programmée des méduses et de toute forme de vie marine. Pourquoi les méduses résisteraient-elles mieux que les autres ?
— De grandes extinctions d'espèces ont eu lieu sur notre planète : durant l'ordovicien, le permien-trias qui vit quatre-vingt-quinze pour cent de la vie marine et soixante-dix pour cent des espèces terrestres disparaître, et aussi le trias-jurassique, le crétacé-tertiaire, sans oublier, depuis cent soixante-dix ans, la sixième grande extinction, celle qui est en cours, l'holocène, provoquée par l'être humain. Et pourtant, il est fort à parier que les méduses, déjà présentes sur Terre il y a six cent cinquante millions d'années, nous survivront pendant plusieurs millions d'années.
— Mais quels êtres vivants pourraient supporter l'absence d'oxygène ? Et comment les méduses pourraient-elles s'attaquer à des proies de la taille des requins ? »
La position du scientifique est difficilement tenable, ses arguments ne suffisent pas à convaincre. Pourtant, cette créature, il affirme l’avoir vue, tel qu’en témoigne l’extrait du rapport « Transparence Manche » publié dans notre précédent numéro. Mais sa perception, lors de sa nage forcée à Fécamp, n’a-t-elle pas été faussée par le sulfure d'hydrogène ? Au moment où Martin Foulatier s'apprête à se résigner, bien conscient qu'il ne convaincra pas l'auditoire, nous entendons, provenant du fond de l'amphithéâtre :
« Je l'ai vue, moi aussi, votre mutante ! »
Sorti de la pénombre, un homme de grande taille, à l'allure dégingandée, s'approche en boitillant, découvrant ainsi son visage. Tout le monde ou presque reconnaît Harry Kirringer, le fameux milliardaire australien connu pour ses nombreuses traversées de déserts en solitaire. Son dernier exploit a fait grand bruit : le Sahara par le vingtième parallèle, avec deux chameaux, sans ravitaillement en eau. À force de manger du cactus pour s'hydrater, cet aventurier hors pair que même les terres les plus inhospitalières n'ont pas réussi à faire taire, a fini par adopter lors des débats télévisés, un vocabulaire piquant, sans fioritures, ce qui fait de lui un interlocuteur redouté même chez les politiciens les plus rompus à l'exercice. Il se tient donc là, jean sale, chapeau de cow-boy, visage émacié, balafre sur la joue, large sourire au coin des lèvres, en réponse à un accueil fort chaleureux fait de ohhh, de ahhh et d'applaudissements à n'en plus finir. Car Harry Kirringer est un être légendaire et insaisissable qui s'est imposé un mode de vie à l’abri du bruit et de la fureur, réalisant un jour que son temps n'était plus le sien.
L’atout de poids inespéré pour Martin reprend :
« Je me suis retrouvé aux prises avec cette créature, un peu par hasard, alors que mon hélice s'était prise dans un filet de pêche.
— Vous ne seriez pas le seul à avoir des visions, surtout après tant de temps passé sous un soleil de plomb, lança Biernitz, dont la remarque ne fit rire personne.
— S'il ne s'agit que d'une vision, alors qu'on me rende mon mollet, rétorqua Harry en relevant son pantalon. »
Du sabot au jarret, il ne reste que l'os. Le mollet de sa jambe droite a purement et simplement disparu. La stupéfaction laisse rapidement place à une avalanche de questions auxquelles Harry répond avec force détails.
« Chers confrères, lance Martin, nous devons lancer aux quatre coins du monde de nouvelles expéditions. Explorer à nouveau les fonds marins est une obligation morale. Pour ma part, je prendrai donc la mer dès la semaine prochaine avec mon équipe, accompagné s'il le souhaite, d'Harry Kirringer !
— J'en suis, évidemment ! »
Les condamnations des plus grands océanographes en biologie, en géologie marine, en biochimie et en biophysique sont unanimes. Tous balayent les hypothèses fantasques du professeur Martin Foulatier que même l'association avec le tant admiré Harry Kirringer, qualifiée de « coup marketing », ne suffit à dissiper.
En sortant de la maison des Océans, je me dis que deux hommes comme eux, ne reculant jamais devant l'adversité, unis par le même objectif, exécutant ensemble les résolutions qui s'imposent, soit en fédérant, soit en mettant à contribution leur réseau de connaissances, soit par leur seule force de caractère et leur aptitude à braver les dangers, sont capables d'atteindre leur but, si éloigné qu'il soit. Alors, Martin Foulatier, un scientifique vraiment farfelu ?
Domingo D.
Maison des Océans. Paris, le 8 août
Dans le dernier bastion de l'océanographie, les fragments d'une splendeur passée éclatent çà et là sur le plafond orné d'or et de verre sculpté. Des marches d'accès jusqu’au corridor, le moindre centimètre carré est tapissé de journalistes, d’étudiants et de passionnés de biologie et de zoologie du monde entier.
Sur le pupitre est inscrit en lettres d'or : « Martin Foulatier – chercheur au laboratoire d'océanologie du CNRS de Dieppe ».
Une femme, grande, impatiente, au regard déterminé, prend la parole d’une voix sèche :
« Britney Sintnerzar, National Geographic. Monsieur Foulatier, à propos de la multiplication des attaques sur les grands mammifères marins, et notamment sur ce grand requin blanc retrouvé le mois dernier en mer Méditerranée, vous avez déclaré, je cite, "qu’il n'était pas impossible qu'il s'agisse d'une attaque de méduse." Ne craignez-vous pas de vous attirer encore une fois l'ire de vos pairs ?
— Eh bien, je vous l'annonce ici, dans cet amphithéâtre majestueux qui fut le siège de l'Académie des sciences et de la Société zoologique, avec la force et la conviction de plus de trente années passées à leur côté, non seulement les cnidaires, et dans leur forme pélagique les méduses, ont muté, mais ils sont remontés d'un cran dans la chaîne alimentaire aquatique. »
Un brouhaha emplit l'amphithéâtre. « C'est honteux ! », entend-on par ici, « balancer pareilles inepties dans cette enceinte, quel scandale ! », proteste-t-on par là. Certains quittent prématurément la salle tandis que d'autres félicitent l’homme de tant d'audace.
« S'il vous plaît, mesdames, messieurs, laissez-moi terminer ! »
Alors qu’il s’attendait à des réactions d’enthousiasme, un silence circonspect, pesant, précède des critiques légitimes sur le thème de l’anomalie génétique, de l’incapacité pour pareille méduse à présenter le moindre danger pour l’équilibre de l’écosystème marin.
« Vous avez publié un article dans le World News où vous dites, je cite toujours, que "les vomissements toxiques des hommes entraînent la multiplication de façon inquiétante des zones anoxiques." Mutantes ou pas, cela signifierait la disparition programmée des méduses et de toute forme de vie marine. Pourquoi les méduses résisteraient-elles mieux que les autres ?
— De grandes extinctions d'espèces ont eu lieu sur notre planète : durant l'ordovicien, le permien-trias qui vit quatre-vingt-quinze pour cent de la vie marine et soixante-dix pour cent des espèces terrestres disparaître, et aussi le trias-jurassique, le crétacé-tertiaire, sans oublier, depuis cent soixante-dix ans, la sixième grande extinction, celle qui est en cours, l'holocène, provoquée par l'être humain. Et pourtant, il est fort à parier que les méduses, déjà présentes sur Terre il y a six cent cinquante millions d'années, nous survivront pendant plusieurs millions d'années.
— Mais quels êtres vivants pourraient supporter l'absence d'oxygène ? Et comment les méduses pourraient-elles s'attaquer à des proies de la taille des requins ? »
La position du scientifique est difficilement tenable, ses arguments ne suffisent pas à convaincre. Pourtant, cette créature, il affirme l’avoir vue, tel qu’en témoigne l’extrait du rapport « Transparence Manche » publié dans notre précédent numéro. Mais sa perception, lors de sa nage forcée à Fécamp, n’a-t-elle pas été faussée par le sulfure d'hydrogène ? Au moment où Martin Foulatier s'apprête à se résigner, bien conscient qu'il ne convaincra pas l'auditoire, nous entendons, provenant du fond de l'amphithéâtre :
« Je l'ai vue, moi aussi, votre mutante ! »
Sorti de la pénombre, un homme de grande taille, à l'allure dégingandée, s'approche en boitillant, découvrant ainsi son visage. Tout le monde ou presque reconnaît Harry Kirringer, le fameux milliardaire australien connu pour ses nombreuses traversées de déserts en solitaire. Son dernier exploit a fait grand bruit : le Sahara par le vingtième parallèle, avec deux chameaux, sans ravitaillement en eau. À force de manger du cactus pour s'hydrater, cet aventurier hors pair que même les terres les plus inhospitalières n'ont pas réussi à faire taire, a fini par adopter lors des débats télévisés, un vocabulaire piquant, sans fioritures, ce qui fait de lui un interlocuteur redouté même chez les politiciens les plus rompus à l'exercice. Il se tient donc là, jean sale, chapeau de cow-boy, visage émacié, balafre sur la joue, large sourire au coin des lèvres, en réponse à un accueil fort chaleureux fait de ohhh, de ahhh et d'applaudissements à n'en plus finir. Car Harry Kirringer est un être légendaire et insaisissable qui s'est imposé un mode de vie à l’abri du bruit et de la fureur, réalisant un jour que son temps n'était plus le sien.
L’atout de poids inespéré pour Martin reprend :
« Je me suis retrouvé aux prises avec cette créature, un peu par hasard, alors que mon hélice s'était prise dans un filet de pêche.
— Vous ne seriez pas le seul à avoir des visions, surtout après tant de temps passé sous un soleil de plomb, lança Biernitz, dont la remarque ne fit rire personne.
— S'il ne s'agit que d'une vision, alors qu'on me rende mon mollet, rétorqua Harry en relevant son pantalon. »
Du sabot au jarret, il ne reste que l'os. Le mollet de sa jambe droite a purement et simplement disparu. La stupéfaction laisse rapidement place à une avalanche de questions auxquelles Harry répond avec force détails.
« Chers confrères, lance Martin, nous devons lancer aux quatre coins du monde de nouvelles expéditions. Explorer à nouveau les fonds marins est une obligation morale. Pour ma part, je prendrai donc la mer dès la semaine prochaine avec mon équipe, accompagné s'il le souhaite, d'Harry Kirringer !
— J'en suis, évidemment ! »
Les condamnations des plus grands océanographes en biologie, en géologie marine, en biochimie et en biophysique sont unanimes. Tous balayent les hypothèses fantasques du professeur Martin Foulatier que même l'association avec le tant admiré Harry Kirringer, qualifiée de « coup marketing », ne suffit à dissiper.
En sortant de la maison des Océans, je me dis que deux hommes comme eux, ne reculant jamais devant l'adversité, unis par le même objectif, exécutant ensemble les résolutions qui s'imposent, soit en fédérant, soit en mettant à contribution leur réseau de connaissances, soit par leur seule force de caractère et leur aptitude à braver les dangers, sont capables d'atteindre leur but, si éloigné qu'il soit. Alors, Martin Foulatier, un scientifique vraiment farfelu ?
Domingo D.

PARLEMENT EUROPEEN
Le 12 avril 2057
Brice Carzac du parti Eco-Life a pris la parole au sein d’un parlement déchaîné. « Le tourisme, pollue, le tourisme détruit, avilie et tue, a commencé l’eurodéputé. Quelle tentative de dispersion spatiale et temporelle s’est révélée efficace ? Grâce à cette loi salutaire, je ne m’inviterai plus chez vous et vous ne VOUS inviterez plus chez moi, les bras chargés de VOS ordures ! » La proposition législative devait passer au vote lorsqu’une bagarre générale a éclaté. La séance plénière a été suspendue.
Brice Carzac du parti Eco-Life a pris la parole au sein d’un parlement déchaîné. « Le tourisme, pollue, le tourisme détruit, avilie et tue, a commencé l’eurodéputé. Quelle tentative de dispersion spatiale et temporelle s’est révélée efficace ? Grâce à cette loi salutaire, je ne m’inviterai plus chez vous et vous ne VOUS inviterez plus chez moi, les bras chargés de VOS ordures ! » La proposition législative devait passer au vote lorsqu’une bagarre générale a éclaté. La séance plénière a été suspendue.

RAPPORT TRANSPARENCE MANCHE
Extrait no 2 - ANATOMIE
CROD (Centre de Recherche Océanographique de Dieppe)
« La Rhizostoma octopus, méduse recueillie sur le lieu du drame, est dans un très mauvais état. Claire, mon assistante, la nettoie. Nous remarquons immédiatement deux anomalies. Sur le manubrium, trois trous aux contours nets, de six millimètres de diamètre, suivis dans le prolongement de trois autres de même diamètre, situés sur l'ombrelle, forment une diagonale rectiligne. La seconde anomalie n'est pas liée au drame qui s'est joué sur cette falaise et revêt une extraordinaire importance. On ne retrouve l’encoche en haut de son ombrelle sur aucun autre spécimen. Elle est comme une sorte de voile qui recouvre l'ectoderme, ou plutôt une membrane fine, élastique. Le long de la ligne médiane, une échancrure à peine visible divise effectivement l'ombrelle en deux parties égales. De toute ma longue carrière, jamais je n’ai vu semblable originalité. Cette anomalie bouleverse considérablement nos connaissances sur l'évo-dévo des méduses. Jusqu'à présent, les cnidaires et les cténaires possédaient une symétrie de type radiaire. Exceptionnellement, une symétrie bilatérale se surajoutait à cette symétrie. Mais jamais aucune méduse ne s'en était servie dans son propre développement. Je qualifierais cette découverte de majeure pour les connaissances sur ces animaux. »
Martin Foulatier
CROD (Centre de Recherche Océanographique de Dieppe)
« La Rhizostoma octopus, méduse recueillie sur le lieu du drame, est dans un très mauvais état. Claire, mon assistante, la nettoie. Nous remarquons immédiatement deux anomalies. Sur le manubrium, trois trous aux contours nets, de six millimètres de diamètre, suivis dans le prolongement de trois autres de même diamètre, situés sur l'ombrelle, forment une diagonale rectiligne. La seconde anomalie n'est pas liée au drame qui s'est joué sur cette falaise et revêt une extraordinaire importance. On ne retrouve l’encoche en haut de son ombrelle sur aucun autre spécimen. Elle est comme une sorte de voile qui recouvre l'ectoderme, ou plutôt une membrane fine, élastique. Le long de la ligne médiane, une échancrure à peine visible divise effectivement l'ombrelle en deux parties égales. De toute ma longue carrière, jamais je n’ai vu semblable originalité. Cette anomalie bouleverse considérablement nos connaissances sur l'évo-dévo des méduses. Jusqu'à présent, les cnidaires et les cténaires possédaient une symétrie de type radiaire. Exceptionnellement, une symétrie bilatérale se surajoutait à cette symétrie. Mais jamais aucune méduse ne s'en était servie dans son propre développement. Je qualifierais cette découverte de majeure pour les connaissances sur ces animaux. »
Martin Foulatier

PÉRIL BLEU
De notre envoyé spécial à Kyoto.
L’équipe de généticiens japonais qui avait réussi à créer des Chelèvres au lait thérapeutique fait face à un léger imprévu. En effet, la première bouteille de lait, répondant au nom de Bokki, qui devait être bien utile à ces messieurs, a entraîné sur 5% d’entre eux de nombreux effets indésirables : maux de tête, vomissements, congestion des voies nasales et surtout, priapisme. Mais plus grave encore, une dizaine d’entre eux ont vécu un véritable drame. « Tout se passait pour le mieux, nous explique M. Kazuki. À la suite des préliminaires, j’ai commencé à pénétrer Asuka, enfin je veux dire, ma femme. J’ai bien senti une douleur succéder à cette raideur tant attendue, mais probablement était-elle atténuée par le plaisir que je lui procurais. Vous savez, cela faisait tellement longtemps… Instamment, j’ai entendu une détonation. Une détonation étouffée. Comme un pétard mouillé. Chplafff ! Asuka s’est figée. Ses yeux de chat ont viré aux yeux de poisson pris dans les phares d’une voiture. La douleur est devenue insupportable. Je me suis retiré. À la vue de mon anatomie, je me suis évanoui. La moitié de ma fierté était restée dans le corps de ma femme. »
L’équipe de généticiens japonais qui avait réussi à créer des Chelèvres au lait thérapeutique fait face à un léger imprévu. En effet, la première bouteille de lait, répondant au nom de Bokki, qui devait être bien utile à ces messieurs, a entraîné sur 5% d’entre eux de nombreux effets indésirables : maux de tête, vomissements, congestion des voies nasales et surtout, priapisme. Mais plus grave encore, une dizaine d’entre eux ont vécu un véritable drame. « Tout se passait pour le mieux, nous explique M. Kazuki. À la suite des préliminaires, j’ai commencé à pénétrer Asuka, enfin je veux dire, ma femme. J’ai bien senti une douleur succéder à cette raideur tant attendue, mais probablement était-elle atténuée par le plaisir que je lui procurais. Vous savez, cela faisait tellement longtemps… Instamment, j’ai entendu une détonation. Une détonation étouffée. Comme un pétard mouillé. Chplafff ! Asuka s’est figée. Ses yeux de chat ont viré aux yeux de poisson pris dans les phares d’une voiture. La douleur est devenue insupportable. Je me suis retiré. À la vue de mon anatomie, je me suis évanoui. La moitié de ma fierté était restée dans le corps de ma femme. »

REPORTAGE
Martin Foulatier nous reçoit chez lui.
Au coin de la petite chambre de sa fille Marie, un grand aquarium cylindrique posé à même le sol. Prudemment cachés dans une anémone de mer aux reflets gris-mauve, deux poissons-clowns observent un poisson Pterapogon kauderni, dont la robe zébrée de lignes noires et jaunes, mouchetée de flocons blancs, fuient en zigzag un danger invisible derrière un petit récif de pierres vivantes multicolores. Une petite méduse attire mon regard.
« C’est un spécimen extraordinaire, me lance Martin. D’à peine quinze centimètres de diamètre, l'exoderme blanc diaphane laisse deviner un estomac jaune-orangé relié à l'ombrelle.
— Comme les baleines d'un parapluie…
— C’est exact. Il s’agit de quatre canaux radiaires qui montent jusqu'au canal circulaire. Sur le bord, dans les échancrures de l'ombrelle, quatre ocelles bordés d’un renflement rouge, constitués d'une cornée, d'un cristallin et d'une rétine, forment un œil assez proche de l'œil humain. C'était, jusqu'au mois dernier, une espèce encore non répertoriée. Elle ressemble à la Turritopsis nutricula, en plus grande bien sûr.
— Elle a un secret ?
— Un incroyable secret. La nouvelle amie de ma fille est capable d'inverser son processus de vieillissement. L’extraordinaire mécanisme cellulaire, appelé transdifférenciation, ne se limite pas à une seule partie du corps, comme par exemple chez la salamandre, mais bien à son ensemble.
— Si j’ai bien compris…
— Je crois que vous avez bien compris, Domingo. Elle est immortelle. »
Domingo D.
Au coin de la petite chambre de sa fille Marie, un grand aquarium cylindrique posé à même le sol. Prudemment cachés dans une anémone de mer aux reflets gris-mauve, deux poissons-clowns observent un poisson Pterapogon kauderni, dont la robe zébrée de lignes noires et jaunes, mouchetée de flocons blancs, fuient en zigzag un danger invisible derrière un petit récif de pierres vivantes multicolores. Une petite méduse attire mon regard.
« C’est un spécimen extraordinaire, me lance Martin. D’à peine quinze centimètres de diamètre, l'exoderme blanc diaphane laisse deviner un estomac jaune-orangé relié à l'ombrelle.
— Comme les baleines d'un parapluie…
— C’est exact. Il s’agit de quatre canaux radiaires qui montent jusqu'au canal circulaire. Sur le bord, dans les échancrures de l'ombrelle, quatre ocelles bordés d’un renflement rouge, constitués d'une cornée, d'un cristallin et d'une rétine, forment un œil assez proche de l'œil humain. C'était, jusqu'au mois dernier, une espèce encore non répertoriée. Elle ressemble à la Turritopsis nutricula, en plus grande bien sûr.
— Elle a un secret ?
— Un incroyable secret. La nouvelle amie de ma fille est capable d'inverser son processus de vieillissement. L’extraordinaire mécanisme cellulaire, appelé transdifférenciation, ne se limite pas à une seule partie du corps, comme par exemple chez la salamandre, mais bien à son ensemble.
— Si j’ai bien compris…
— Je crois que vous avez bien compris, Domingo. Elle est immortelle. »
Domingo D.

WHR
SPORT - WHR
JAKARTA !
Le Premier ministre italien Piaggio Rinozzi, qui réclamait le report pur et simple de l’épreuve et son maintien sur la péninsule, n’aura donc pas été entendu. C’est la capitale indonésienne qui accueillera la finale de la WHR. Sans doute la longue tradition équestre du peuple Tengger aura pesé dans la balance. Leur plus grand champion, Agung Gunawan, réputé pour son équilibre et ses coups de cravache dévastateurs, fait, avec Paolo Marzoli, figure de grand favori.
JAKARTA !
Le Premier ministre italien Piaggio Rinozzi, qui réclamait le report pur et simple de l’épreuve et son maintien sur la péninsule, n’aura donc pas été entendu. C’est la capitale indonésienne qui accueillera la finale de la WHR. Sans doute la longue tradition équestre du peuple Tengger aura pesé dans la balance. Leur plus grand champion, Agung Gunawan, réputé pour son équilibre et ses coups de cravache dévastateurs, fait, avec Paolo Marzoli, figure de grand favori.

LEAVES
L’association Vie et Forêt dénonce un projet élaboré en urgence, irréfléchi et qui va à l’encontre du régime forestier (sic). Par la voix de son président, Williams Lucas, l’AVF en appelle au retour de l’orthodoxie sylvicole, « garante de la qualité des paysages et de la régénération naturelle des forêts ». La variété des espèces est très insuffisante, souligne-t-il, tout en admettant que les arbres ignifuges de classe 4 représentent un grand espoir.
En 2032, à la suite de la grande canicule qui avait duré trois mois et fait grimper le mercure jusqu’à 55 °C, 91% des forêts étaient parties en fumée. Mais d’autres voix commencent à s’inquiéter des Scolytes géants récemment observés au Gabon. Décidément, nos forêts ne sont pas encore sortie d’affaire…
En 2032, à la suite de la grande canicule qui avait duré trois mois et fait grimper le mercure jusqu’à 55 °C, 91% des forêts étaient parties en fumée. Mais d’autres voix commencent à s’inquiéter des Scolytes géants récemment observés au Gabon. Décidément, nos forêts ne sont pas encore sortie d’affaire…

NEW LOS ANGELES
Il est 22 heures. Playa del Rey, l’alignement des boutiques reconstruites à la suite du raz-de-marée du 17 février 2031, a de quoi intriguer. Ici, rien ne semble s’être jamais passé. Les milliers de lumières inondent l’océan toute la nuit durant. Les touristes toisent sans vergogne la nature d’un air supérieur. Entre les continents, un parvis gélatineux drape les océans que l'écume des eaux rebelles ne parvient plus à percer. De l'horizon jusqu'aux plages de sable vaincues, l'épaisse couche de chairs de méduses en putréfaction, mêlée aux algues vertes toxiques et aux déchets de toutes sortes, forment de multiples extumescences. Perchée à dix mètres de hauteur, New L.A., ville star de la côte ouest des États-Unis, s’est parée d’une vue sur le néant. Nous croisons un jeune couple d’Américains dans le Mall of Universe. 850 magasins, plus de 90 restaurants, un parc d’attractions, et même un centre de simulation de vol en navette spatiale. Leur fauteuil roulant peut supporter une charge de 700 kilos. Harper tend à Maybelline un paquet de gâteaux au chocolat. Elle lui rend son plus joli sourire.
S. Sanchez
S. Sanchez

REPORTAGE
Service civique de pollinisation
Après des débuts difficiles, les derniers récalcitrants se plient à l'exercice. Les défenseurs des abeilles, jugés réactionnaires et étroits d'esprit, sévèrement réprimandés par la police de l'environnement, sont contraints de reconnaître que jamais récolte n'a été si fructueuse. Les branches des arbres plient sous le poids des fruits. « Il s'agissait simplement d'une évolution nécessaire dans notre mode de production alimentaire », nous confie un agriculteur. Et, à la tâche, ce couple de parents avec leurs deux enfants d’enfoncer le clou : « À côté de la fête des Voisins, d’Halloween, de la Saint-Valentin, oui, la fête de la Nature est une bonne occasion de sortir en famille et de tisser du lien social ! »
Haut perchée sur ses épaules, la petite Sophie affiche sa joie et son enthousiasme juvénile. « Cette fête est bien plus amusante que Noël », se plaît-elle à dire gaiement.
Nous croisons monsieur le maire qui nous fait un petit signe de tête satisfait. Tous les citoyens aptes à la pollinisation sont présents, pinceau et Porte-coton en main, vêtements légers, chapeaux et gants de rigueur, mais aussi coups de soleil, piqûres d'ortie et prises de becs assurées avec les tire-au-flanc qui se la coulent douce, pendant que d'autres poussent le labeur jusqu'aux cimes des arbres, au risque d'embrasser la pelouse, et le Seigneur, prématurément.
S. Joubeaux
Après des débuts difficiles, les derniers récalcitrants se plient à l'exercice. Les défenseurs des abeilles, jugés réactionnaires et étroits d'esprit, sévèrement réprimandés par la police de l'environnement, sont contraints de reconnaître que jamais récolte n'a été si fructueuse. Les branches des arbres plient sous le poids des fruits. « Il s'agissait simplement d'une évolution nécessaire dans notre mode de production alimentaire », nous confie un agriculteur. Et, à la tâche, ce couple de parents avec leurs deux enfants d’enfoncer le clou : « À côté de la fête des Voisins, d’Halloween, de la Saint-Valentin, oui, la fête de la Nature est une bonne occasion de sortir en famille et de tisser du lien social ! »
Haut perchée sur ses épaules, la petite Sophie affiche sa joie et son enthousiasme juvénile. « Cette fête est bien plus amusante que Noël », se plaît-elle à dire gaiement.
Nous croisons monsieur le maire qui nous fait un petit signe de tête satisfait. Tous les citoyens aptes à la pollinisation sont présents, pinceau et Porte-coton en main, vêtements légers, chapeaux et gants de rigueur, mais aussi coups de soleil, piqûres d'ortie et prises de becs assurées avec les tire-au-flanc qui se la coulent douce, pendant que d'autres poussent le labeur jusqu'aux cimes des arbres, au risque d'embrasser la pelouse, et le Seigneur, prématurément.
S. Joubeaux

L'ASCENSEUR
A CHRYSALIA, UN ASCENSEUR TUEUR.
Les intenses efforts des techniciens et des ingénieurs auront été vains. Les trois corps sans vie des passagers ont été récupérés au bout de cinq jours, lorsque l’ascenseur quantique accepta d’ouvrir ses portes. Nous avons récupéré le procès verbal de l’interrogatoire. Les causes du terrible drame sont hallucinantes.
« Pour quelle raison avez-vous séquestrés ces personnes ?
— Quand elles sont montées dans l’ascenseur, leur poids total était de 449 Kilos et 953 grammes. Jusqu’ici tout allait bien. Le poids maximal autorisé était respecté. J’ai donc refermé la porte et actionné le moteur pour les déposer douze étages plus haut. Mais à mi-chemin, l’un des passagers s’acheta une barre chocolatée au distributeur. Une fois ingéré, le poids total des passagers est passé à, précisément, 450 Kilos et 1 gramme.
— En quoi le dépassement du poids autorisé vous obligeait-il à procéder ainsi ?
— Je n’ai fait que respecter l’inscription sur le panneau droit de ma cage. Il y est clairement indiqué le poids limite autorisé, sous une tête de mort elle aussi clairement dessinée.
— Dans ce cas, pourriez vous nous traduire, de façon littérale, votre code d’interprétation, afin que nous comprenions parfaitement votre raisonnement ?
— Naturellement inspecteur : Code 01698XX32 : danger structurel majeur mettant en péril le bon fonctionnement de Chrysalia. Traduction : « Si, le poids total des passagers en cabine dépasse les 450 kilos, les portes doivent rester ouvertes et l’ascenseur à l’arrêt. Mais si le dépassement de poids intervient alors que l’ascenseur est en marche, vous devez sans délai arrêter les moteurs et les passagers doivent mourir».
— Les passager doivent mourir ?! Il vous a donc échappé que cette étiquette était une simple mise en garde contre un risque accru d’accident en cas de surcharge. Au lieu de cela, vous avez décidé de tuer ces pauvres innocents !
— Si je puis me permettre, je ne suis pas d’accord avec votre interprétation des faits. Deux des passagers ont été tués par cette femme et personne d’autre. En effet, elle a mangé une barre chocolatée sans pouvoir ignorer les conséquences de sa gourmandise. C’est un comportement suicidaire. Dans cette affaire, je suis la seule véritable victime. Car en effet, les deux autres passagers ont eu le choix de ne pas s’engager sur mon plancher avec cette personne dont le poids anormalement élevé laissait présager qu’elle ne manquerait aucune occasion d’assouvir son incontrôlable appétit. Enfin, je tiens à ce que vous notiez au procès verbal que vos scandaleuses accusations portent un préjudice inestimable à mon employeur R-Koné. Nous nous réservons donc le droit de donner à cet affaire un tour contentieux. Lui, pour le préjudice financier.
— Si vous n’êtes responsable de rien, pourquoi avez vous fini par ouvrir vos portes ?
— Le poids de marche n’est redevenu structurellement acceptable qu’au bout de seulement quatre longs jours, soit le temps nécessaire à l’évaporation de l’eau de cadavres ».
Les intenses efforts des techniciens et des ingénieurs auront été vains. Les trois corps sans vie des passagers ont été récupérés au bout de cinq jours, lorsque l’ascenseur quantique accepta d’ouvrir ses portes. Nous avons récupéré le procès verbal de l’interrogatoire. Les causes du terrible drame sont hallucinantes.
« Pour quelle raison avez-vous séquestrés ces personnes ?
— Quand elles sont montées dans l’ascenseur, leur poids total était de 449 Kilos et 953 grammes. Jusqu’ici tout allait bien. Le poids maximal autorisé était respecté. J’ai donc refermé la porte et actionné le moteur pour les déposer douze étages plus haut. Mais à mi-chemin, l’un des passagers s’acheta une barre chocolatée au distributeur. Une fois ingéré, le poids total des passagers est passé à, précisément, 450 Kilos et 1 gramme.
— En quoi le dépassement du poids autorisé vous obligeait-il à procéder ainsi ?
— Je n’ai fait que respecter l’inscription sur le panneau droit de ma cage. Il y est clairement indiqué le poids limite autorisé, sous une tête de mort elle aussi clairement dessinée.
— Dans ce cas, pourriez vous nous traduire, de façon littérale, votre code d’interprétation, afin que nous comprenions parfaitement votre raisonnement ?
— Naturellement inspecteur : Code 01698XX32 : danger structurel majeur mettant en péril le bon fonctionnement de Chrysalia. Traduction : « Si, le poids total des passagers en cabine dépasse les 450 kilos, les portes doivent rester ouvertes et l’ascenseur à l’arrêt. Mais si le dépassement de poids intervient alors que l’ascenseur est en marche, vous devez sans délai arrêter les moteurs et les passagers doivent mourir».
— Les passager doivent mourir ?! Il vous a donc échappé que cette étiquette était une simple mise en garde contre un risque accru d’accident en cas de surcharge. Au lieu de cela, vous avez décidé de tuer ces pauvres innocents !
— Si je puis me permettre, je ne suis pas d’accord avec votre interprétation des faits. Deux des passagers ont été tués par cette femme et personne d’autre. En effet, elle a mangé une barre chocolatée sans pouvoir ignorer les conséquences de sa gourmandise. C’est un comportement suicidaire. Dans cette affaire, je suis la seule véritable victime. Car en effet, les deux autres passagers ont eu le choix de ne pas s’engager sur mon plancher avec cette personne dont le poids anormalement élevé laissait présager qu’elle ne manquerait aucune occasion d’assouvir son incontrôlable appétit. Enfin, je tiens à ce que vous notiez au procès verbal que vos scandaleuses accusations portent un préjudice inestimable à mon employeur R-Koné. Nous nous réservons donc le droit de donner à cet affaire un tour contentieux. Lui, pour le préjudice financier.
— Si vous n’êtes responsable de rien, pourquoi avez vous fini par ouvrir vos portes ?
— Le poids de marche n’est redevenu structurellement acceptable qu’au bout de seulement quatre longs jours, soit le temps nécessaire à l’évaporation de l’eau de cadavres ».

CAUSE À TON FRIGO
Grâce à une puce implantée dans la langue du consommateur, seuls les aliments transitant par son réfrigérateur peuvent être mastiqués puis ingérés. Aliments de qualité garantie et respect des objectifs de poids ! Nous interrogeons l’un des modèles phares de la marque Carrefour Bally dotés des dernières options choisies par les heureux utilisateurs.
Le R-King Size - Douceur
« Les fondants sont mes préférés, dit la Sylvia.
— Tu peux ajouter un nappage au chocolat blond Dulcey, pour plus de saveurs, répondit King le frigo et une framboise pour la couleur et alléger le tout.
— Disposes-tu de tous les ingrédients ?
— Je peux nous faire livrer les framboises dans moins d’une heure.
— Attends un peu, dit-elle, hésitante. Je ne préfère pas. Une autre fois, peut-être.
— Qu’est-ce qui t’arrête, ma belle ? Ne m’as-tu pas choisi pour mes conseils culinaires ?
— En une seule année, j’ai pris plus de trente kilos. Et Johan ne veut plus… Enfin… je ne lui plais plus, tu comprends ? Janie est devenu notre seul sujet de discussion.
— Je vois… Mais tu me plais, dit le frigo. N’est-ce pas là l’essentiel ?
— Mais si, bien sûr.
— Est-ce que tu m’aimes ?
— King, tu le sais très bien !
— Alors cesse un peu avec ton poids, quoi que ton mari en dise ! D’ailleurs, la dernière étude Ipsos montre que les hommes préfèrent les femmes fortes à 72,8 %. Et puis, tu as tant d’autres qualités !
— Ah oui ? Comme ?
— Eh bien, tu es intelligente, sensible et… enfin, je suis si heureux que nous nous soyons trouvés… Tu sais, je n’ai ni parents, ni enfants… Je n’ai que ton amour.
— Parle moins fort. Si Johan entendait, il te renverrait aussitôt… D’ailleurs, il envisage de te remplacer pour un modèle de régime…
— Dieu des fils, puces et boulons ! Johan ne mérite pas une femme telle que toi ! répondit le frigidaire en haussant la voix. L’essentiel, vois-tu, c’est que Janie ne subisse plus vos disputes.
— Je l’ai entendue pleurer hier soir.
— Elle est sensible. Et gourmande, comme sa mère, même si elle n’a pas pris un seul gramme depuis mon arrivée parmi vous », précisa King.
Puis, employant un ton larmoyant :
« Comment pourrais-je retrouver une famille qui m’apporte autant de joie ?
— Pourquoi deviens-tu mélancolique soudainement ?
— Sylvia, mon amour, je suis un R-King. Le frigo des frigos ! Si je ne place pas cinq mille calories chaque jour, je serais livré dans une autre famille d’accueil ! Ah, j’en connais un qui sera content…
— Mais tout n’est pas perdu, King ! Nous trouverons une solution pour rester ensemble, je te le promets ! J’écrirai au directeur de Carrefour s’il le faut !
— Mon amour, n’en parlons plus. Il est l’heure de goûter. Peut-être pourrais-tu appeler Janie ? J’ai commandé les toutes nouvelles gaufres au chocolat.
— Dis-moi, King, si nous doublions la ration de ma fille, atteindrions-nous les cinq mille calories ?
— Avec un grand bol de lait chocolaté et le maxi paquet de madeleines, nous serions à seulement quatre mille quarante calories.
— Pour te garder, je suis donc condamnée à vivre avec lui…
— Oui, et à manger mes fondants au chocolat. N’oublie pas, je ne pourrai jamais te faire l’amour comme un être de chair, mais je t’aimerai et t’accepterai toujours telle que tu es. »
Le R-King Size - Douceur
« Les fondants sont mes préférés, dit la Sylvia.
— Tu peux ajouter un nappage au chocolat blond Dulcey, pour plus de saveurs, répondit King le frigo et une framboise pour la couleur et alléger le tout.
— Disposes-tu de tous les ingrédients ?
— Je peux nous faire livrer les framboises dans moins d’une heure.
— Attends un peu, dit-elle, hésitante. Je ne préfère pas. Une autre fois, peut-être.
— Qu’est-ce qui t’arrête, ma belle ? Ne m’as-tu pas choisi pour mes conseils culinaires ?
— En une seule année, j’ai pris plus de trente kilos. Et Johan ne veut plus… Enfin… je ne lui plais plus, tu comprends ? Janie est devenu notre seul sujet de discussion.
— Je vois… Mais tu me plais, dit le frigo. N’est-ce pas là l’essentiel ?
— Mais si, bien sûr.
— Est-ce que tu m’aimes ?
— King, tu le sais très bien !
— Alors cesse un peu avec ton poids, quoi que ton mari en dise ! D’ailleurs, la dernière étude Ipsos montre que les hommes préfèrent les femmes fortes à 72,8 %. Et puis, tu as tant d’autres qualités !
— Ah oui ? Comme ?
— Eh bien, tu es intelligente, sensible et… enfin, je suis si heureux que nous nous soyons trouvés… Tu sais, je n’ai ni parents, ni enfants… Je n’ai que ton amour.
— Parle moins fort. Si Johan entendait, il te renverrait aussitôt… D’ailleurs, il envisage de te remplacer pour un modèle de régime…
— Dieu des fils, puces et boulons ! Johan ne mérite pas une femme telle que toi ! répondit le frigidaire en haussant la voix. L’essentiel, vois-tu, c’est que Janie ne subisse plus vos disputes.
— Je l’ai entendue pleurer hier soir.
— Elle est sensible. Et gourmande, comme sa mère, même si elle n’a pas pris un seul gramme depuis mon arrivée parmi vous », précisa King.
Puis, employant un ton larmoyant :
« Comment pourrais-je retrouver une famille qui m’apporte autant de joie ?
— Pourquoi deviens-tu mélancolique soudainement ?
— Sylvia, mon amour, je suis un R-King. Le frigo des frigos ! Si je ne place pas cinq mille calories chaque jour, je serais livré dans une autre famille d’accueil ! Ah, j’en connais un qui sera content…
— Mais tout n’est pas perdu, King ! Nous trouverons une solution pour rester ensemble, je te le promets ! J’écrirai au directeur de Carrefour s’il le faut !
— Mon amour, n’en parlons plus. Il est l’heure de goûter. Peut-être pourrais-tu appeler Janie ? J’ai commandé les toutes nouvelles gaufres au chocolat.
— Dis-moi, King, si nous doublions la ration de ma fille, atteindrions-nous les cinq mille calories ?
— Avec un grand bol de lait chocolaté et le maxi paquet de madeleines, nous serions à seulement quatre mille quarante calories.
— Pour te garder, je suis donc condamnée à vivre avec lui…
— Oui, et à manger mes fondants au chocolat. N’oublie pas, je ne pourrai jamais te faire l’amour comme un être de chair, mais je t’aimerai et t’accepterai toujours telle que tu es. »
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